Télé-observance, la suspension de l’arrêté ne lève pas les craintesDamien Dubois, LUNDI 17 MARS 2014 Soyez le premier à réagir Le 22 octobre 2013 un arrêté ministériel mettait en place une télé-observance des patients traités contre l’apnée du sommeil par pression positive continue. L’argument retenu était le coût du dispositif au regard de « l’inobservance » constatée. Sa suspension par le Conseil d’Etat le mois dernier n’a pas vraiment rassuré les parties prenantes.
Les différents acteurs du soin continuent à réagir chacun avec leurs arguments, qu’il s’agisse des équipementiers médicaux où des portes paroles des usagers.
Une double peine pour le SNITEM
Les fabricants du groupe Respiration à domicile du SNITEM[1], s’inquiètent des conséquences économiques de cette suspension. Selon eux, le Comité économique des produits de santé envisagerait de compenser les économies prévues par l’arrêté. Les fabricants craignent donc de payer deux fois : les 30 millions d’euros déjà investis dans le matériel pour cette télé-observance s’ajoutant à la perspective d’une baisse de prix des forfaits.
« Bien que l’origine de cette situation soit de nature juridique, ses conséquences sont extrêmement fortes pour les entreprises et c’est bien un sentiment de double peine et de gâchis que nous éprouvons, après les investissements et les emplois créés », souligne Lucile Blaise, Présidente du groupe Respiration à domicile.
Surveiller les patients et punir
Les usagers du système de santé s’inquiètent également des conséquences de ce genre de décision de télé-observance. Plus globalement, Coopérations Patients[2] dénonce une mauvaise pente du système de santé qui se dirige vers une politique de surveillance/sanction des malades qui ouvre la porte à un « assurance maladie conditionnelle ». Pour ce groupe de pression, ce genre de décision renforce les discriminations et les inégalités face aux soins. Coopérations patients a adressé en ce sens une lettre ouverte à la Ministre de la santé et une demande auprès du Comité consultatif national d’éthique pour éclairer les enjeux de mesures de surveillance des patients.
[1] Syndicat National de l’Industrie des Technologies Médicales
[2] Groupe d’acteurs qui connaissent la maladie (malades, militants associatifs, défenseurs de la cause des malades, soignants) : cooppatients.wordpress.com
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Connaître le taux d'efficacité d'un anti-diabétique, réaliser des études prospectives sur un traitement anticancéreux, éviter les catastrophes sanitaires... Les raisons qui militent pour une ouverture maîtrisée des données anonymes de santé sont multiples. À commencer par l'impératif de santé publique. Ainsi, concernant l'affaire du Mediator, les données obtenues grâce à la bataille menée par le collectif Initiative Transparence Santé (ITS) lui ont permis d'observer que les "pouvoirs publics étaient au courant des dérives de prescription dont le médicament de Servier était l'objet, à savoir qu'il était prescrit dans environ 80 % des cas hors de ses indications officielles. [...] Un suivi plus strict des prescriptions accompagné d'une action auprès des médecins prescripteurs aurait, selon nous, permis d'éviter un grand nombre de morts", affirme l'association sur son site. Mais l'accès aux informations aboutissant à ce constat a dû être forcé : ITS a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs (Cada), dont l'avis favorable a fait céder la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam).
Des acteurs comme l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), dont la mission est de contrôler la sécurité sanitaire, sont au premier chef concernés par l'ouverture des données de santé. Mais pas seulement. "Sur les 8 000 médicaments disponibles, les médecins généralistes en connaissent entre 200 et 300, et les spécialistes environ 30. Nous avons besoin d'accéder à ces données pour montrer aux citoyens les variations des pratiques et éviter l'usage de médicaments dangereux", souligne l'économiste Jean de Kervasdoué, professeur et titulaire de la chaire d'économie et de gestion des services de santé du Conservatoire national des arts et métiers.
Aujourd'hui, une poignée d'agences de l'État a accès à ces données. Mais les choses pourraient évoluer, grâce au mouvement général de l'"open data" alimenté par la pression citoyenne vers plus de transparence. La mission d'information du Sénat sur l'accès aux documents administratifs et aux données publiques planche sur le sujet. De leur côté, les membres d'une commission associant des professionnels de la santé et des représentants des usagers remettront les résultats de leurs travaux à la ministre de la Santé Marisol Touraine en avril 2014. En tenant compte du fait que "les données de santé ne sont pas des informations comme les autres, leur protection étant notamment assurée par le secret médical", souligne un communiqué du ministère de la Santé. La vie privée a donc son mot à dire.
Quelles sont les données concernées ? Qui devrait y avoir accès ? Pour quelles finalités ? Décryptage avec Anne Cousin, avocate spécialisée en droit du numérique, au cabinet Granrut.
Le Point.fr : Quelles sont ces "données de santé" qui intéressent tant les défenseurs de la transparence et les acteurs de la sécurité sanitaire ?
Anne Cousin : La loi ne définit pas les données de santé. Mais les données dont nous parlons sont des données anonymes (donc non nominatives) rassemblées dans des bases de données comme le SNIIRAM (le Système national d'information inter-régimes de l'Assurance maladie). Il s'agit de l'âge, du sexe, des prestations remboursées et non remboursées, des nuits d'hôpital, des modes d'exercice des praticiens, etc. Leur accès est très restreint, même s'il a été élargi en août 2013 à certaines institutions publiques, à savoir l'Institut de veille sanitaire, la Haute Autorité de santé (HAS), qui peut désormais accéder à toute la base, ou encore l'Agence de biomédecine, qui, elle, n'a accès qu'aux données agrégées (par exemple, "tous les diabétiques de 15-20 ans traités en médecine de ville").
L'Institut des données de santé (IDS) préconise que des instituts de recherche tels que l'Inserm aient accès à l'intégralité de la base SNIIRAM et aussi que des industriels du secteur de la santé qui réalisent des études de santé publique validées par les pouvoirs publics aient accès à des extractions d'échantillons de données. Le but est de promouvoir la recherche et de mieux gérer le risque maladie.
Le collectif Initiative Transparence Santé (ITS) a, grâce à l'avis favorable de la Cada, obtenu auprès de la Caisse nationale d'Assurance maladie des données sur la consommation de Mediator. Quel est l'objectif de la démarche ?
L'objectif est de retracer la consommation du Mediator jusqu'à l'arrêt de sa commercialisation : à cette fin, il faut connaître le nombre de prescriptions hors autorisation de mise sur le marché, de prescriptions hors remboursement, le montant des remboursements, la durée des traitements, le nombre et le type de médecins prescripteurs (généralistes, spécialistes). L'objet de cette demande est de mettre au jour d'éventuelles anomalies dans la prescription du produit et son remboursement pour, le cas échéant, mettre en cause les caisses d'assurance-maladie, voire l'administration dans son ensemble, qui auraient dû/pu les détecter pour éviter les conséquences que l'on connaît.
Cette initiative de ITS s'appuie sur le mouvement actuel favorable à l'exploitation des données publiques, notamment à des fins d'information et de contrôle des politiques publiques. La France dispose d'un outil juridique encore insuffisamment exploité (cette loi de 1978) qui ne demande qu'à servir de relais à un "open data" raisonné en matière de santé.
Les associations de consommateurs dont le rôle est d'alerter et d'éviter les scandales sanitaires du type Mediator sont aussi particulièrement concernées par l'accès aux données de santé. Que prévoit la loi à ce sujet ?
À l'heure actuelle, les associations de consommateurs n'ont accès ni aux données exhaustives ni aux données agrégées. Si le collectif ITS a obtenu de la Cada un avis favorable à sa demande d'accès aux informations relatives au Mediator, c'est grâce à une loi qui n'a pas vocation à régir cette seule matière, la loi du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'administration et le public et qui encadre l'accès aux documents administratifs.
Finalement, quels sont les avantages ou les risques liés à l'ouverture des données de santé ? Peut-on craindre des abus ?
Concernant les avantages, l'accès par des associations citoyennes introduirait une dose de démocratie dans le système de soins en évitant une monopolisation du discours par les pouvoirs publics. C'est, semble-t-il, en ce sens que l'avis de la Cada peut être interprété, et c'est pour cela qu'il est important.
En revanche, le risque principal qui est brandi par les pouvoirs publics est l'atteinte aux données personnelles. Il ne faut pas que, sous le couvert d'investigation sur telle ou telle prescription médicale ou tel ou tel accident sanitaire, on puisse identifier des personnes physiques et donc s'ingérer dans leur vie privée. Le risque d'une réidentification est réel, même si les données sont anonymes, notamment en cas de requêtes croisées ou sur un petit échantillon d'individus. C'est pour cela que l'IDS encadre strictement les requêtes de ceux qui sont habilités à accéder à la base et qu'il existe des procédures qui régissent l'utilisation des données transmises. En somme, le risque d'atteinte à la vie privée peut être encadré tout en assurant une plus grande transparence sur les politiques de santé.
Télé-observance, la suspension de l’arrêté ne lève pas les craintesDamien Dubois, LUNDI 17 MARS 2014 Soyez le premier à réagir
Le 22 octobre 2013 un arrêté ministériel mettait en place une télé-observance des patients traités contre l’apnée du sommeil par pression positive continue. L’argument retenu était le coût du dispositif au regard de « l’inobservance » constatée. Sa suspension par le Conseil d’Etat le mois dernier n’a pas vraiment rassuré les parties prenantes.
Les différents acteurs du soin continuent à réagir chacun avec leurs arguments, qu’il s’agisse des équipementiers médicaux où des portes paroles des usagers.
Une double peine pour le SNITEM
Les fabricants du groupe Respiration à domicile du SNITEM[1], s’inquiètent des conséquences économiques de cette suspension. Selon eux, le Comité économique des produits de santé envisagerait de compenser les économies prévues par l’arrêté. Les fabricants craignent donc de payer deux fois : les 30 millions d’euros déjà investis dans le matériel pour cette télé-observance s’ajoutant à la perspective d’une baisse de prix des forfaits.
« Bien que l’origine de cette situation soit de nature juridique, ses conséquences sont extrêmement fortes pour les entreprises et c’est bien un sentiment de double peine et de gâchis que nous éprouvons, après les investissements et les emplois créés », souligne Lucile Blaise, Présidente du groupe Respiration à domicile.
Surveiller les patients et punir
Les usagers du système de santé s’inquiètent également des conséquences de ce genre de décision de télé-observance. Plus globalement, Coopérations Patients[2] dénonce une mauvaise pente du système de santé qui se dirige vers une politique de surveillance/sanction des malades qui ouvre la porte à un « assurance maladie conditionnelle ». Pour ce groupe de pression, ce genre de décision renforce les discriminations et les inégalités face aux soins. Coopérations patients a adressé en ce sens une lettre ouverte à la Ministre de la santé et une demande auprès du Comité consultatif national d’éthique pour éclairer les enjeux de mesures de surveillance des patients.
[1] Syndicat National de l’Industrie des Technologies Médicales
[2] Groupe d’acteurs qui connaissent la maladie (malades, militants associatifs, défenseurs de la cause des malades, soignants) : cooppatients.wordpress.com
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