Bracelets, montres et autres objets connectés envahissent peu à peu notre quotidien, nous permettant de mesurer notre activité physique, la qualité de notre sommeil et même notre humeur Optimiser son entraînement grâce à son smartphone, une pratique de plus en plus répandue© Photoillustration AFP STAN HONDA Publicité
Q ue ceux qui sont déjà allés courir (ou pédaler) avec leur smartphone accroché au bras ou à la ceinture lèvent le doigt. Ou encore ceux qui ont déjà investi dans une montre connectée, un podomètre, une balance avec impédancemètre etc.
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Calculer le nombre de kilomètres parcourus et le nombres de calories perdues, surveiller son poids et son rythme cardiaque, mesurer son sommeil etc. Il y a forcément une appli pour ça. Car surveiller sa forme et sa santé sur un smartphone, un ordinateur ou même une montre est une tendance de plus en plus en vogue.
Un marché en plein boom Cela s'appelle le "quantified self" ou "quantification de soi" en français. Ce marché de la santé connectée est en pleine expansion. Il existe d'ores et déjà des dizaines de milliers d'applications et gadgets surfant sur cette vague.
Leurs missions, permettre aux utilisateurs de quantifier une activité ou un paramètre physique (Endomondo, Runkeeper, Runtastic, Nike+, Fitbit...) ; surveiller la nutrition au travers de l'estimation des calories (Myfitness Pal...) ; surveiller le poids (balance connectée : Withings, Fitbit, Terraillon) ; suivre un facteur de risque (hypertension, diabète...) ; et même mesurer la qualité du sommeil (Jawbone, iSommeil...) ou évaluer l'humeur etc.
Selon une étude du cabinet Roland Berger publiée mercredi, le marché de l'e-santé, s'il a connu "des débuts laborieux", devrait connaître un important développement "dans un horizon de temps à 5 ans". Le cabinet table notamment sur une croissance en France d'environ 3 milliards en 2017, soit 7% par an. Le nombre de patients dans le monde utilisant un système de monitoring connecté augmenterait de 26% entre 2014 et 2017.
Une importante "floraison" qui doit beaucoup, selon le cabinet Roland Berger, à "la combinaison de moyens humains, scientifiques et une capacité (...) à capturer la donnée et à être capables de l'analyser". Mais aussi à une évolution des usages et une attente croissante de la part des utilisateurs.
Un nouvel art de vivre Dans une étude publiée le 19 septembre, l'institut GFK révèle que le suivi de l'activité physique est la fonction des montres connectées qui attire le plus les consommateurs. L'affichage de l'heure ? Un détail qui n'intéresse que 11% des propriétaires potentiels de smartwatch. Ceux qui veulent lire l'heure se contenteront d'acheter une montre-tout-court. Pour les autres, ce qui prime ce sont les capteurs qui collectent les données pouvant être utilisées pour un entraînement sportif ou une surveillance médicale.
© Photo GFK La Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) s'est elle aussi intéressée dans un long rapport à ce qu'elle qualifie de "mouvement, voire pour certains d'un art de vivre". Il faudrait ainsi voir dans cette volonté accrue de mieux cerner ses performances une sorte d'évolution technologique du précepte grec "Connais-toi toi-même", comme l'expliquent l'entrepreneur toulousain spécialiste du numérique Henri Verdier et l'auteur du "Guide pratique du Quantified Self. Mieux gérer sa vie, sa santé, sa productivité", Emmanuel Gadenne.
Le phénomène, apparu dans les années 2000 aux Etats-Unis, se base sur l'idée que l'on ne peut pas améliorer ce que l'on ne peut pas quantifier, qu'il s'agisse du nombre de pas parcourus dans la journée ou de la qualité du sommeil. Si ce mouvement découle d'un nouveau rapport au corps et d'un souhait d'être le propre acteur de son bien-être et de sa santé, il doit évidemment beaucoup aux avancées qui permettent justement de quantifier ces données.
L'avenir de l'e-santé : la collecte de données Selon l'étude "Les Français et la data : je t'aime moi non plus" réalisée par l'institut Toluna pour Havas Media et publiée ce jeudi, 93% des internautes français (15-64 ans) se disent "conscients de la captation de leurs données personnelles". Et si cette étude révèle que 84% des internautes sont inquiets de l'usage qui peut être fait de leurs données, la majorité est prête à accepter le suivi de ses données moyennant une contrepartie soit financière, soit en nature.
"C'est le nouveau paradoxe français, les internautes sont très conscients de la captation de leurs données, sont inquiets, mais il ont un appétit de voir ce que cela peut créer pour eux", indique Raphaël de Andréis, directeur général Havas Media Group France. C'est sur cet appétit que tablent les applications, gadgets etc. D'autant que pour "les plus jeunes, les data natives (24%), ce n'est plus un sujet, ils sont dans une logique qui est de tirer profit du phénomène".
Et c'est pour cela que selon le cabinet Roland Berger, l'avenir de l'e-santé appartient aux géants de l'internet, comme Google, qui sont les mieux à même de collecter de grandes quantités de données et les utiliser. Et qui y ont mis les moyens.
Attention tout de même à ne pas tomber dans l'excès, rappelle la Cnil. Car si partager le nombre de kilomètres parcourus dans la journée a peu de conséquences, il ne faut pas perdre de vue que la plupart des informations sont des données issues du corps humain et certaines peuvent être intimes. La sécurisation des données étant ce qu'elle est, l'utilisateur est donc en droit de s'interroger sur l'utilisation qui est en faite et sur sa capacité réelle à les maîtriser (voir encadré ci-dessous).
Et demain, des données exploitées par les assurances ? Fin 2013, selon un sondage Ifop, seuls 11% des Français déclaraient posséder un objet connecté. Selon Research2Guidance, spécialiste du marché des applications, on estime qu'en 2017, "un utilisateur de smartphone sur deux aura installé au moins une application dédiée au bien-être ou à la santé", sans compter le développement des vêtements, bijoux, lunettes connectés.
Un développement exponentiel qui entraîne de nouveaux partenariats, "à la fois avec des fabricants de matériels permettant de collecter des données (Samsung, Apple ou encore Nintendo), des fournisseurs de soins et des payeurs (notamment les assurances), relève l'étude menée par le cabinet Roland Berger. "Aux Etats-Unis, les créateurs de dispositifs de suivi du bien-être travaillent avec employeurs et assureurs", écrit aussi la Cnil dans Le deuxième numéro des Cahiers Innovation et Prospective, consacré au "quantified self".
Ainsi, "le scénario dans lequel une assurance santé ou une mutuelle conditionnerait l'obtention d'un tarif avantageux à l'accomplissement d'un certain nombre d'activités physiques, chiffres à l'appui, se dessine", note encore la Cnil. "Dans les années à venir, les individus pourraient être priés d'apporter les preuves d'un comportement sain, sur le modèle de "l'usage-based-insurance". Ce modèle en vigueur dans le monde de l'assurance automobile (le "pay as you drive", payez selon votre conduite) permet à l'assuré de payer (ou d'obtenir des avantages) en fonction des kilomètres qu'il a parcourus, mesurés à l'aide d'un logiciel de géolocalisation".
© Photo Cnil Mais pour en arriver à une telle utilisation des données de santé, il faudra encore aux différents acteurs de l'e-santé toucher toutes les populations, à commencer par les personnes âgées, peu utilisatrices de nouvelles technologies ou encore les "data-paranos", les plus inquiets et les moins enclins à partager leurs données.
"Condamner" l'individu à être responsable de sa santé ? Antoinette Rouvroy, chercheur en philosophie du droit, membre du comité de la Prospective de la Cnil met également en garde sur le fait que "rendre les individus plus responsables de leur bonne ou de leur mauvaise santé risque de distraire l'attention sur les causes environnementales ou socioéconomiques de la mauvaise santé, au profit de causes comportementales." En somme, "condamner" l"individu à être responsable de sa santé tout en dédouanant les pouvoirs publics.
Une crainte que partage notamment, le journaliste, essayiste et chercheur d'origine biélorusse Evgeny Morozov, qui estime que "les pouvoirs publics trouveront toujours plus facile, plus économique et plus moderne de s'appuyer sur les discours technophiles des sociétés qui développent des outils de "quantified self" pour traiter des problèmes de santé publique, plutôt que d'engager des réformes structurelles pour s'attaquer à leurs causes réelles".
Aquitaine Développement Innovation organise le 4 octobre 2014 une rencontre sur la santé connectée.
Quelques bonnes pratiques du "quantified self"
La Cnil estime qu'en terme de protection des données personnelles et de la vie privée, le "quantified self" soulève plusieurs interrogations comme : dans quelles conditions peut-on admettre que des données issues du corps humain puissent-faire l'objet d'une monétisation ? Où sont réellement stockées ces données ? L'utilisateur en a-t-il conscience ? Dispose-t-il d'un contrôle réel ? Est-il informé de le revente possible de ses données ?
Voici en tous cas quelques règles de bases à respecter pour protéger un minimum sa vie privée :
- Préférez l’utilisation d’un pseudonyme sur les plateformes où vos données peuvent être publiées.
- N’automatisez pas le partage de vos données vers d’autres services (notamment les réseaux sociaux).
- Ne partagez les données qu’avec un cercle de confiance (en limitant l’accès au travers du réglage de vos paramètres de confidentialité lorsque cela est possible).
- Effacez et/ou récupérez vos données lorsque vous n’utilisez plus un service.
- Dans le cas de l’utilisation d’une application ou d’un capteur dédié à un usage médical ou présenté comme tel (outil de diagnostic, suivi de pathologie), assurez-vous de la fiabilité des informations fournies auprès d’un professionnel de santé.